J.-P. Leresche (dir.): De l’École à la Faculté des sciences sociales et politiques (1902-2022)

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Titel
Récits facultaires. De l’École à la Faculté des sciences sociales et politiques (1902-2022)


Herausgeber
Leresche, Jean-Philippe
Erschienen
Lausanne 2022: EPFL PRESS
Anzahl Seiten
357 p.
von
Olivier Meuwly

Retracer l’histoire d’une faculté des sciences sociales constitue une aventure passionnante. Car, au-delà des péripéties qui rythment la vie quotidienne de toute faculté aux prises à ses récurrents et habituels conflits de personnes et de budget, cette opération offre une occasion idéale de jeter un regard acéré sur l’évolution de la société et des idées politiques qui la sous-tendent. Qu’il nous soit dès lors permis de féliciter l’équipe réunie par Jean-Philippe Leresche, qui affronte avec talent la délicate mission : faire revivre la Faculté des SSP de l’Université de Lausanne dans son siècle d’existence.

Études historiques générales, d’autres plus spécifiques narrant la naissance et l’évolution des divers secteurs d’activité regroupés dans cette notion aux contours flous que sont les « sciences sociales » (science politique, sociologie, psychologie, sciences du sport, mais aussi les études genre) et témoignages d’anciens étudiants (B. Galland, Y. Jaggi, A. Jaccoud, V. Kucholl, Th. Sandoz, J. Sansonnens et M. Beetschen) se succèdent pour dresser un riche panorama de cette faculté au parcours si peu linéaire. Conçue au sein de la faculté de droit sous l’impulsion décisive de Vilfredo Pareto, elle doit se satisfaire du statut d’« École » avant d’être érigée au rang de « Faculté » dans les années 1970, non sans avoir frôlé à plusieurs reprises une suppression pure et simple…

Jean-Philippe Leresche et son équipe, sur la base d’un large dépouillement des procès-verbaux du conseil de faculté et de la commission universitaire, n’esquivent pas les crises qui ont émaillé l’existence des SSP et montrent comment ce domaine longtemps marginal a fini par acquérir une place centrale dans une université en mutation au tournant du millénaire. Mais réserver une large autonomie à ces SSP presque indiscernables se justifiait-il vraiment ? N’aurait-il pas fallu les rattacher aux HEC, au profil bien plus lisible ? Surgit ici l’un des débats qui va accompagner des années durant la jeune faculté.

Devait-elle destiner ses étudiantes et étudiants à des métiers identifiables ou, loin de ces contraintes trop étouffantes, privilégier la réflexion scientifique, comme l’a toujours préconisé Pareto ? Ce dernier l’emportera, ce qui n’empêchera pas ses successeurs de devoir se contenter d’une part congrue du budget universitaire, avant que l’essor de la faculté, dans les années 2000, ne lui permette de stabiliser ses ressources. Elle bénéficiera alors à plein de la démocratisation des études qu’inaugurent les années 1970. Les auteurs sont étonnamment discrets sur ce dernier point : le succès de la faculté est-il le fruit de son dynamisme ou s’est-il nourri des cohortes d’étudiantes et d’étudiants aspirés en masse vers l’université et attirés par la réputation, nettement moins évidente aujourd’hui, de proposer des études d’accès facile ? La question, murmurée incidemment, aurait pu être approfondie.

Un autre aspect aurait pu être davantage approfondi : la trajectoire politique de la faculté, pourtant si foisonnante et d’ailleurs racontée. Sa création répond à une volonté politique. Louis Ruchonnet en pose les bases en procédant à l’engagement de Léon Walras, avant qu’Eugène Ruffy, son successeur au Conseil d’État, ne confie à Pareto, qui reprend la chaire de Walras, un enseignement en sociologie. L’édifice se construit, grâce à l’actif soutien du député Ernest Decollogny. Ils sont tous des radicaux, sensibles aux changements en cours dans la société et de la nécessité d’en saisir scientifiquement les ressorts.

Les sciences sociales recruteront leurs enseignants d’abord dans les milieux conservateurs jusque dans les années 1950, à part la notable exception de l’anarchiste Jean Wintsch. Dès les années 1970, son corps professoral, comme dans les autres facultés de sciences sociales, penchera en revanche majoritairement vers la gauche, notamment à travers le sas de « 68 ». Les SSP ne s’ancrent dans une adhésion aux théories de gauche, où la savoir scientifique finit, à quelques exceptions près, par s’assimiler à l’apprentissage du militantisme. Comme le livre le dit, on passe d’une inclination « droitiste », avec le fameux et si controversé octroi du doctorat honoris causa à Mussolini en 1937, à une inclination plus gauchisante. La question de la « gauchisation » de la faculté, qui n’épargnera pas d’autres facultés, aurait pu être abordée plus frontalement, autrement que par le constat d’une « politisation » croissante, pudiquement évoquée…

Car, loin de toute polémique, ce phénomène pose d’intéressantes questions. La compréhension de la société ne peut-elle passer que par des modèles d’analyse tissés par des penseurs de gauche, dits aussi «critiques », une approche dont le pluralisme affiché se réduit à de picrocholines querelles de chapelle ? Et plonger dans la société ne peut-il intéresser que des gens à la sensibilité de gauche ? Pourquoi la droite libérale, fascinée par les finances publiques, ne parvient-elle pas à intégrer ces portails sur la société que sont les sciences sociales ? Ces remarques démontrent l’intérêt du livre dirigé par Jean-Philippe Leresche : l’histoire des sciences sociales est indispensable pour comprendre l’évolution des idées qui dessinent la société dans sa réalité.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Leresche, Jean-Philippe (dir.): Récits facultaires. De l’École à la Faculté des sciences sociales et politiques (1902-2022), Lausanne 2022. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 236-237.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 236-237.

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